Amulette: témoignage d’Eric Eigenmann, Professeur associé de l’Université de Genève et responsable de l’Atelier théâtre du département de français (ATDF)

Amulette ? Lutte des âmes… âmes muettes ? Migrantes, elles y retrouvent la voix.

Amulette, la création du Théâtre Spirale mise en scène par Michele Millner, cela fait bientôt trois mois que j’y ai assisté. Elle reste pourtant très présente à mon esprit. Je vois l’énergie dansante et complice de la troupe dans la merveilleuse salle aux murs bruts de la Parfumerie, j’entends le timbre chaud des paroles, des chants, du saxophone, de la guitare, je ressens comme des vagues sur un rivage l’adresse conjointe des mots et des regards – un appel toujours renouvelé vers le public assemblé ce soir-là.

On ne sait jamais vraiment pourquoi resurgit dans la mémoire une image, visuelle et acoustique, plutôt qu’une autre. Mais pourquoi son empreinte persiste-t-elle autant ? La simplicité, pour ne pas dire la franchise du dispositif scénique d’Amulette, dans une scénographie de Miriam Kerchenbaum qui fait la part belle aux objets du quotidien, y est pour beaucoup. On comprend qu’elle tient au projet même, mené par le Théâtre Spirale en collaboration avec l’Université Populaire Albanaise et d’autres associations : suite à de longs échanges avec des personnes migrantes, de toutes origines, porter en scène leurs témoignages.

La réalité vécue de ces rencontres, sans parler des épreuves de la migration, ne relève pas de la comédie ou d’une simple performance scénique. Bien que ces personnes ne soient pas physiquement sur le plateau, leur présence y est sensible, plus intense encore sans doute que si, prêtant le flanc à une forme de voyeurisme ou de comparaison déplacée avec les professionnels de la scène, elles avaient été là en chair et en os : « prêter sa voix » à quelqu’un, « emprunter la voix » d’autrui, ces expressions auront rarement été aussi appropriées. La voix valant ici bien sûr pour tout le corps en mouvement qui la porte.

C’est que le texte, écrit par Michele Miller à partir des récits collectés, est direct, alerte. C’est que, chanteuses, musiciennes et danseuses, les cinq comédiennes – Naïma Arlaud, Nathaly Leduc, Françoise Gautier et Nora Cupelin, Amanda Cepero ou Yaël Miller – irradient, habitées par les « personnages » qu’elles évoquent, sur le mode choral ou seules, en se gardant bien de prétendre les incarner. C’est que le musicien – Yves Cerf – a composé des mélodies et des rythmes qui font corps, justement, avec les paroles dites ou chantées, et qui contribuent à dessiner le parcours de la représentation. Pour le dire à la manière de Georges Perec (ce n’est qu’un exemple) : « je me souviens… » d’un chant yiddish qui m’a donné les larmes aux yeux. Mais il y a plus encore. Si cet événement est unique, il a des racines dans l’histoire du lieu et de la compagnie Spirale et du Chœur Ouvert qui participent aussi de l’expérience du jour. Une mémoire peu à peu se tisse. On aime revenir à la Parf’, y retrouver une recherche théâtrale jamais figée qui prend pour matériau notre monde tel qu’il va, et ne va pas. On aime y partager les émotions suscitées par de tels moments. J’attends donc avec impatience et bonheur de vivre le prochain !