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Patrick Mohr (@Daniel Gomez)

Par Marie-Pierre Genecand

A la Parfumerie, à Genève, Patrick Mohr reprend «Je suis un saumon», solo de Philippe Avron. La version du Genevois est musicale et métissée

Patrick Mohr, son enthousiasme, sa candeur, son amour de l’ailleurs. L’an dernier, le fondateur du Théâtre Spirale, compagnie genevoise qui élargit ses horizons depuis 1990, a mis ces trois qualités au service d’un magnifique projet: monter à la sauce cubaine Les Larmes des hommes, un texte du Mozambicain Mia Couto qui invite les mâles à reconnaître leur féminité. Salves de guitare, jeu masqué, danses secouées, ce spectacle était une vraie fête des sens et du sens (LT du 21.03.2014).

Cette année, l’homme de théâtre choisit la voie solitaire pour parler de l’humanité. Il reprend Je suis un saumon , monologue mythique du regretté Philippe Avron et cette parole initiatique où l’homme, comme le poisson, remonte à son enfance pour aimer, se teinte de ses élans musicaux et métissés.

Bien sûr, il est impossible d’oublier Philippe Avron dans ce solo. Phrasé délicat, corps alerte de lutin aux aguets, regard plus que futé: le comédien français décédé en 2010 mettait dans ce récit des origines qu’il a créé en 1998 une telle vivacité et une telle intelligence que nager avec lui relevait du bain de jouvence. Enchanteur, ce spectacle a reçu le Molière du meilleur monologue.

Avec Patrick Mohr, le voyage est moins ciselé, plus brouillon, moins aérien, plus proche du tourbillon. Mais on ne se noie pas pour autant. On se perd parfois dans ce récit que le Genevois livre les pieds dans l’eau, mais on ressort charmé par la générosité de ce conteur qui voit loin. Déjà, en ouverture et conclusion, il inclut un enfant et un acteur plus âgé dans cette quête de la vérité. Ces deux présences muettes, corps tatoués et ondoyants, évoquent avec pertinence la transmission si chère au saumon. Surtout, Patrick Mohr associe trois musiciens à cette odyssée et leurs contributions – à la flûte, contrebasse, accordéon, coquillage, guitare ou percussions – amènent du mouvement, des couleurs à la partition.

Pour raconter quoi? Le récit, épique, de cinq saumons de l’Allier – saumons de l’Allier saumons altiers – qui accomplissent leur grand voyage jusqu’à l’océan et reviennent pour frayer en eau douce et mourir après avoir laissé des héritiers. De temps en temps, Philippe Avron se souvient qu’il a étudié chez Jacques Lecoq et truffe son monologue de parenthèses pédagogiques hilarantes. Mais l’essentiel tourne autour de nos cinq héros: Saumon Saumon, le narrateur; Pierrot le titi parisien; Dulcinée, la truite saumonée; Internet, le saumon connecté et Soufi, le saumon pakistanais, qui amène avec lui toute la sagesse de l’Orient.

C’est drôle et c’est piquant. Livré très en mouvement par ce fils adoptif de l’Afrique. Parfois, les murs se couvrent de vagues, beaux effets d’eau, et l’océan engloutit le plateau. Parfois, les musiciens entrent dans la danse, valse musette en l’occurrence, et le solo gagne en fraternité. La Spirale, selon Patrick Mohr, est résolument ascendante.