Un coup de butoir plein de vitalité et d’humour.

Murer la peur est un spectacle total, mêlant théâtre, danse et musique. C’est un cri de révolte poétique et engagé qui vient du fond du coeur au regard de l’état du monde et pour nous encourager à jeter des ponts entre les cultures.

Acclamé en 2023 revient avec enthousiasme avec des représentations en Suisse et en France, 

Concerts, Ateliers, Stages de danse et de musique, Lecture et performance et bien sûr les Représentations. 

Toutes les dates ici : https://theatrespirale.com/spectacle/murer-la-peur-2/

Comment appréhender un lieu qui éblouit par sa beauté pure mais qui porte les cicatrices de l’exclusion et de l’injustice? Une terre forgée par des siècles d’extraction et d’exploitation, mais encore vivante des souvenirs de couleurs, d’odeurs, d’aventures et d’enfances heureuses? Le spectacle Atacama embrasse ce paradoxe, tissant la riche tapisserie du désert du nord du Chili (ou peut-être du sud du Pérou? territoire de Diaguita?) à travers les histoires profondément personnelles de plusieurs générations de la famille Millner.

Le nord du Chili est souvent dépeint comme un espace vide. Sa population indigène d’origine, les Diaguita, était considérée comme éteinte – en partie à cause du génocide et en partie à cause de l’effacement culturel – jusqu’à ce qu’elle réapparaisse au début des années 2000 et constitue aujourd’hui le troisième groupe indigène du pays. Aujourd’hui, la région est surtout connue pour ses réserves de lithium, essentielles à la nouvelle économie verte. Toutefois, l’histoire de l’extraction dans le désert d’Atacama remonte à bien plus loin, à commencer par le salpêtre (nitrate de sodium). Ce minéral a acquis une grande valeur en tant qu’ingrédient dans les engrais et les explosifs, alimentant à la fois la croissance économique et l’intérêt international pour la région. La mondialisation, les voyages et la mobilité ont également ici des racines profondes, et c’est là que commence la relation étroite de la famille Millner avec la région.

C’est le grand-père de Michele Millner, co-metteuse en scène de la pièce avec Naima Arlaud, qui a quitté le Royaume-Uni pour s’installer à Atacama. Il était venu chercher du travail et de l’aventure, et il a trouvé les deux – ainsi que des liens familiaux – dans le nord du Chili. Bien que son voyage s’inscrive dans le cadre plus large de l’histoire des migrations coloniales Nord-Sud, nous ne devons pas négliger le rôle de la mobilité individuelle dans la création de liens entre les personnes, la terre et l’histoire. Même si sa blancheur européenne lui a offert des opportunités particulières, la migration du XIXe siècle impliquait également de se forger des racines, ce qui est bien différent des expériences d’expatriation souvent plus éphémères que nous connaissons aujourd’hui.

Les souvenirs sensoriels du père de Michele, tirés des mémoires qu’il a écrites dans ses dernières années, révèlent à quel point Atacama a imprégné l’histoire de sa vie. Dans la pièce, le public en fait l’expérience à travers les images créées par Sol Diaz et la musique interprétée par Raimundo Santander, Yves Cerf, Mael Godinat et Sylvain Fournier. Leurs mélodies et leurs harmonies nous rappellent la beauté générée par les rencontres, même si la violence fait partie de cette histoire.

Le père de Michèle et ses souvenirs constituent le pivot de la pièce. Du désert d’Atacama à l’Australie, nous écoutons ses souvenirs, nous nageons à ses côtés dans la mer et nous voyons comment le mouvement coexiste avec l’appartenance.

Michele montre magnifiquement comment l’identité de son père a été façonnée par ces migrations, qui se poursuivent à travers elle et ses enfants en Australie, au Chili et à Genève – tout comme elles ont fini par façonner la manière dont beaucoup d’entre nous se comprennent et comprennent le monde aujourd’hui.

Cela ne signifie pas que les déplacements et l’appartenance sont devenus plus faciles au fil du temps. En fait, comme le montre avec force le monologue cathartique de Meret vers la fin de la pièce, même si le mouvement est devenu plus accessible, nous sommes aujourd’hui bien plus conscients des privilèges, des conflits et de la destruction qui permettent et résultent de notre mobilité.

Au fond, Atacama transcende la scène, nous invitant à parcourir les chemins du désert balayés par le vent et à ressentir les échos intemporels qui nous lient par-delà les océans et les générations. Il révèle comment la mémoire, le travail et l’amour convergent vers une terre qui captive et défie à la fois. À travers des images vivantes, une musique évocatrice et les souvenirs profondément personnels de la famille Millner, nous sommes témoins de la manière dont l’appartenance et le mouvement se remodèlent continuellement l’un l’autre. Et dans ces contradictions intimes – entre passé et présent, douleur et espoir, exclusion et privilège, frontières et mobilité – de nouvelles formes d’appartenance peuvent tranquillement prendre racine dans les endroits les plus inattendus.

(traduit de l’anglais par Michele Millner)

Les Marécottes, 3 November 2024

Dear Michele, dear Meret,

Thank you for Atacama, yet another genre-defying triumph from the House of Millner. And this one is so very much from the house of Millner, with all the patriarchal and genealogical implications of the word. The father, the mother, the fathers and the mothers before them, the daughter and the …?

I’m not sure, Meret, where you stand in this genealogy. The words that we have are all so gendered, which of course is basically the point, because patriarchy and genealogy are part of the masculinist conspiracy of transmission (of name, of money, of status, of power). But the magic of the-ah-ter makes it possible for you to leap-frog back to your grandfather’s embodiment and clothes, and produce his voice in a way that moves your mother his daughter. Those pronouns, possessive pronouns, are also part of the stranglehold of language (the English, the French, at least) as it promulgates the structures of power, insidiously proclaiming that people must necessarily exist in networks of possession and power. (Is Viva “my daughter”? Does she want to be?)

The family, be it kinship or nuclear, has long been a staging post for patriarchal power in Europe. In the early modern period, the structure was pretty clear, especially in the upper reaches of the hierarchy: God, King, Noblemen—Noblewomen, Yeomen, Artisans, Merchants, Labourers, then all the wives; somewhere along the line between noblewomen and yeomen the children of the nobility—but mostly children below, always below, belongings, chattels, their injury and starvation for punishment not particularly criminal. When colonialism and capitalism made their merry way through the world, the family (the European family, mind you) was deemed their perfect vehicle: production (by men, paid for by salaries), reproduction (by women, unpaid), and consumption (decided by women, mainly). And, of course, the agents of actual colonization and genocide—going there, living there, killing there.

But then what of love? Is love not there, in families, birth or chosen? Can we accept that love and exploitation may co-exist in the same bonds, in the same constellations of persons? What of the love that parents feel for their children, a bittersweet tugging somewhere in the region of the stomach, an unimaginable turmoil of the heart, the endless desire to just look at them (when babies), and a sort of weird and guilty pride in them (when adults)? And what of the love that children feel for their parents? I sometimes think of my own aged parents, consider that they might die soon, and feel at first relieved at the idea, but then let the reality of it trickle down into my bones, and then I cry, I swear I cry. So this love, this beautiful, desirable, enviable love, travels along the courses and channels of family bonds, the same courses and channels that carry the exploitations of patriarchy (and its handmaidens, capitalism, colonialism, heteronormativity and extractivism). Is this a paradox? An ambiguity? A painful realisation? Does loving parents and children make us somehow complicit in the whole shebang?

I think that it does, but then I also think that it is inevitable, in the same way that so many of us are complicit in the horrors of the world and its history. As I sit and write from a Swiss mountain village on a sunny autumn afternoon about one quarter of the way into the twenty-first century, inspired by the emotions that your show aroused in me, and as I try to corral those emotions into thoughts and words, I am respectfully reminded of what James Baldwin wrote about his stay in a different Swiss mountain village, a mere 77.7 km away.

But there is a great difference between being the first white man to be seen by Africans and being the first black man to be seen by whites. The white man takes the astonishment as tribute, for he arrives to conquer and to convert the natives, whose inferiority in relation to himself is not even to be questioned; whereas I, without a thought of conquest, find myself among a people whose culture controls me, has even, in a sense, created me, people who have cost me more in anguish and rage than they will ever know, who yet do not even know of my existence. The astonishment, with which I might have greeted them, should they have stumbled into my African village a few hundred years ago, might have rejoiced their hearts. But the astonishment with which they greet me today can only poison mine. […] These people cannot be, from the point of view of power, strangers anywhere in the world; they have made the modem world, in effect, even if they do not know it. The most illiterate among them is related, in a way that I am not, to Dante, Shakespeare, Michelangelo, Aeschylus, Da Vinci, Rembrandt, and Racine; the cathedral at Chartres says something to them which it cannot say to me, as indeed would New York’s Empire State Building, should anyone here ever see it. Out of their hymns and dances come Beethoven and Bach. Go back a few centuries and they are in their full glory-but I am in Africa, watching the conquerors arrive.[1]

Of course, wherever we are in the world, we are those people, the villagers of Leukerbad, the natural descendants of Shakespeare and co.. And where does that leave us? This is not a pleasant thought. It leaves me, for one, with a feeling of acute discomfort, one where I can only feel the feeling of guilt that creeps over the surface of my skin and deep in my bowels in private, in secret. Because we have been taught to know that the guilt itself is guilty—the white woman’s tears, white fragility, white guilt—and I agree. Perhaps compassion and empathy are better than guilt; well of course they are—but how can we know what is what? And, is there a place for anger? Can white anger be legitimate or is it just too little too late and not useful anyway? Can I express my emotions regarding my feeling of historical complicity in the exploitation and disempowerment of peoples and territories in a way that will not itself be complicit, exploitative and disempowering? With what delicacy and trepidation can I direct my words in in such a way as to retain an ethical stance?

In your show, you directed your words, bodies and voices in such a way as to retain an ethical stance. I think that the way that you did this was in the particular melding of the private and the public, the familial and the political. There was never a feeling that they could somehow exist separately. The flickering black and white film of a nuclear family that seemingly grew in love in the Chilean Acatama Desert was never entirely separated from the extraction of resources, from the ethnocide and linguicide that subtended that family’s prospering; yet the love was acute, palpable, we could partake and find solace there. Can destruction and solace exist in parallel? Yes, surely. Does solace excuse destruction? No, not ever. It is a weird dance that they step out, solace and destruction, partners in a delicate and trepidatious choreography of historical emergence. Meret, I believe that the physical and envoiced agitation that you gave us towards the end of the show was produced at the confluence of an uneasy reconciliation between solace and destruction. The violence with which your body and your voice occupied the space of the stage belied (I feel) much control and precision. This was not a letting go, rather, it was (again, I feel) a representation of letting go, its performance. There is a tension between what is shown and how it is shown.

So, here too, a tension—like the tension that is produced by the impossible position of having to choose: is my family love or is it exploitation? Am I complicit or am I innocent? Am I a man or a woman? For some of us, some of these choices are easy, for others less so. If we don’t think about these choices, so be it. But if we do, we come closer to understanding something about the world, something that must exist on a plane that includes compassion and empathy.

Together, dearest Michele and Meret, you have produced a play, a performance, a generically bizarre agglomeration of public-facing, emotion-creating action and being, of voice and body, a staged something that moved me so much that I needed to write to you about it. Not least I was moved by my friend Cora’s emotion. To be able to sit next to each other whilst experiencing together created something between us too, a supplementary layer of friendship, a branching out, a mildness and melding together that we would not have had otherwise. So thank you for that.

Remain in solace for the most part, but accept that destruction will be there too.

With all my love and admiration,

Erzsi xxx


[1] James Baldwin, “Stranger in the Village” Notes of a Native Son, Beacon Press, 1955.

(Version originale en anglais)

Merci pour Atacama, un nouveau triomphe de la maison Millner qui défie les genres. Et celui-ci est vraiment de la maison Millner, avec toutes les implications patriarcales et généalogiques du mot. Le père, la mère, les pères et les mères qui les ont précédés, la fille et la…?

Je ne sais pas trop, Meret, où toi tu te situes dans cette généalogie. Les mots que nous possédons sont tous tellement genrés, ce qui, bien sûr, est essentiellement le sens, parce que le patriarcat et la généalogie font partie de la conspiration masculiniste de la transmission (du nom, de l’argent, du statut, du pouvoir). Mais la magie du théâtre te permet de bondir dans le passé et revêtir le corps et les vêtements de ton grand-père, et de produire sa voix d’une manière qui émeut ta mère, sa fille. Ces pronoms, les pronoms possessifs, font également partie de l’emprise de la langue (anglaise, française, du moins) qui promulgue les structures du pouvoir, proclamant insidieusement que les gens doivent nécessairement exister dans des réseaux de possession et de pouvoir. (Viva est-elle «ma fille»? veut-elle l’être?)

La famille a longtemps été le relais du pouvoir patriarcal en Europe. Au début de la période moderne, la structure était assez claire, en particulier dans les hautes sphères de la hiérarchie: Dieu, le roi, les nobles, les yeomen, les artisans, les marchands, les laboureurs, puis toutes les épouses; quelque part entre les nobles et les yeomen, les enfants de la noblesse, mais surtout les enfants en bas, toujours en bas, des choses possédées, dont la blessure et l’affamement pour des raisons punitives sont pas particulièrement criminels. Lorsque le colonialisme et le capitalisme ont fait leur bonhomme de chemin par le monde, la famille (la famille européenne, bien sûr) a été considérée comme leur véhicule parfait : production (par les hommes, payée par des salaires), reproduction (par les femmes, non payée) et consommation (décidée par les femmes, principalement). Et, bien sûr, les familles sont les agents de la colonisation et du génocide proprement dits – aller là-bas, vivre là-bas, tuer là-bas.

Mais alors, qu’en est-il de l’amour? L’amour n’est-il pas là, dans les familles, de naissance ou choisi? Peut-on accepter que l’amour et l’exploitation puissent coexister dans les mêmes liens, dans les mêmes constellations de personnes? Qu’en est-il de l’amour que les parents éprouvent pour leurs enfants, un tiraillement doux-amer quelque part vers l’estomac, un trouble inimaginable du cœur, l’envie infinie de les regarder (quand ils sont bébés), et une sorte de fierté étrange et étrangement coupable (quand ils sont adultes)?

Et qu’en est-il de l’amour que les enfants ressentent pour leurs parents? Il m’arrive de penser à mes propres parents âgés, d’envisager leur mort prochaine, de me sentir d’abord soulagée à cette idée, puis de laisser la réalité s’infiltrer dans mes os, et alors je pleure, je vous jure que je pleure. Ainsi, cet amour, cet amour beau, désirable, enviable, voyage le long des chaines et des canaux des liens familiaux, les mêmes cours qui transportent les exploitations du patriarcat (et de ses serviteurs, le capitalisme, le colonialisme, l’hétéronormativité et l’extractivisme). S’agit-il d’un paradoxe? Une ambiguïté? Une prise de conscience douloureuse? Le fait d’aimer nos parents et nos enfants nous rend-il d’une certaine manière complice de tout cela?

Je pense que oui, mais je pense aussi que c’est inévitable, de la même manière que tant d’entre nous sommes complices des horreurs du monde et de son histoire. Alors que je vous écris depuis un village de montagne suisse par un après-midi d’automne ensoleillé, à environ un quart de chemin dans le XXIe siècle, inspirée par les émotions que votre spectacle a suscitées en moi, et alors que j’essaie d’exprimer ces émotions en pensées et en mots, je me rappelle respectueusement ce que James Baldwin a écrit à propos de son séjour dans un autre village de montagne suisse, à seulement 77,7 km de là.

Mais il y a une grande différence entre être le premier homme blanc à être vu par des Africains et être le premier homme Noir à être vu par des blancs.

L’homme blanc considère que la stupéfaction est un hommage, car il arrive pour conquérir et convertir les indigènes, dont l’infériorité par rapport à lui n’est pas à remettre en question; tandis que moi, sans aucune velléité de conquête, je me trouve parmi un peuple dont la culture me contrôle, m’a, pourrait-on même dire, créé, un peuple qui m’a coûté plus d’angoisse et de rage qu’il n’en saura jamais, et qui pourtant ne sait même pas que j’existe. La stupéfaction avec laquelle je les aurais peut-être accueillis, s’ils étaient entrés dans mon village africain il y a quelques centaines d’années, aurait pu réjouir leur cœur. Mais celle avec laquelle ils m’accueillent aujourd’hui ne peut qu’empoisonner le mien. […] Du point de vue du pouvoir ces gens ne peuvent être des étrangers nulle part dans le monde ; en effet, le monde moderne est de leur facture, même s’ils ne le savent pas. Le plus analphabète d’entre eux est lié, d’une manière dont je ne suis pas, à Dante, Shakespeare, Michel-Ange, Eschyle, De Vinci, Rembrandt et Racine ; la cathédrale de Chartres leur transmet quelque chose qu’elle ne peut pas me transmettre, tout comme l’Empire State Building de New York, si jamais quelqu’un d’ici le vit un jour. De leurs hymnes et de leurs danses viennent Beethoven et Bach. Remontez quelques siècles en arrière et ils sont en pleine gloire – mais je suis en Afrique, en train de voir arriver les conquérants.[1] 

Bien sûr, où que nous soyons dans le monde, nous sommes ces gens-là, les villageois de Loèche-les-Bains, les descendants naturels de Shakespeare et co. Et où cela nous mène-t-il? Ce n’est pas une pensée agréable. Pour ma part, elle me laisse un sentiment de malaise aigu, un sentiment de culpabilité qui se glisse sur la surface de ma peau et s’insinue dans mes entrailles, en privé, en secret. Parce qu’on nous a appris à savoir que la culpabilité elle-même est coupable – les larmes de la femme blanche, la fragilité blanche, la culpabilité blanche – et je suis d’accord. Peut-être que la compassion et l’empathie sont meilleures que la culpabilité; bien sûr qu’elles le sont, mais comment savoir ce qui est quoi? Et la colère a-t-elle sa place? La colère des blancs peut-elle être légitime ou n’est-elle que trop peu, trop tard et de toute façon inutile? Puis-je exprimer mes émotions concernant mon sentiment de complicité historique dans l’exploitation et le désempouvoirement des peuples et des territoires d’une manière qui ne soit pas elle-même complice, exploitante et désempouvoirante? Avec quelle délicatesse et quelle inquiétude puis-je diriger mes mots de manière à maintenir une posture éthique?

Dans votre spectacle, vous avez dirigé vos mots, vos corps et vos voix de manière à maintenir une posture éthique. Je pense que la manière dont vous y êtes parvenu réside dans la fusion particulière du privé et du public, du familial et du politique. En regardant le spectacle, on n’a jamais eu le sentiment qu’ils pouvaient exister séparément. Le film en noir et blanc vacillant d’une famille nucléaire (celle de Pops) qui semble s’être aimée dans le désert chilien d’Acatama n’a jamais été entièrement séparé de l’extraction des ressources, du génocide, de l’ethnocide et du linguicide qui ont sous-tendu la prospérité de cette famille; pourtant, l’amour était aigu, palpable, nous pouvions y participer et y trouver du réconfort. La destruction et le réconfort peuvent-ils exister en parallèle? Oui, certainement. Le réconfort excuse-t-il la destruction ? Non, jamais. C’est une danse étrange qu’ils mènent, le réconfort et la destruction, partenaires dans la chorégraphie délicate et trépidante de l’émergence historique. Meret, je crois que l’agitation physique et vocale que tu nous as donnée vers la fin du spectacle s’est produite à la confluence d’une réconciliation malaisante entre le réconfort et la destruction. La violence avec laquelle ton corps et ta voix ont occupé l’espace scénique démentait (me semble-t-il) un haut niveau de contrôle et de précision. Ce n’était pas un lâcher-prise, c’était plutôt (encore une fois, me semble-t-il) une représentation du lâcher-prise, sa performance. Il existe une tension entre ce qu’on voit, et la manière dont on nous le fait voir.

Donc, ici aussi, une tension – comme celle que produit la position impossible de devoir choisir: ma famille est-elle amour ou exploitation? Suis-je complice ou innocente? Suis-je un homme ou une femme? Pour certains d’entre nous, certains de ces choix sont faciles, pour d’autres moins. Si nous n’y pensons pas, soit. Mais si nous y pensons, nous nous rapprochons de la compréhension de quelque chose du monde, quelque chose qui doit exister sur un plan qui inclut la compassion et l’empathie.

Ensemble, chèr·es Michele et Meret, vous avez produit une pièce de théâtre, une performance, un agglomérat génériquement bizarre d’actions et d’existences, de voix et de corps produits au public et qui créent des émotions, une mise en scène qui m’a tellement émue que j’ai eu besoin de vous en écrire. L’émotion de mon amie Cora a intensifié la mienne. Le fait de pouvoir s’asseoir l’une à côté de l’autre et de vivre cette expérience ensemble a également créé quelque chose entre nous, une couche supplémentaire d’amitié, une ramification, une douceur et une fusion que nous n’aurions pas eues autrement. Je vous en remercie.

Restons dans le réconfort la plupart du temps, mais acceptons que la destruction sera là aussi.

Avec tout mon amour et mon admiration.


[1] James Baldwin. “Stranger in the Village.” Notes of a Native Son. Beacon Press, 1955. La traduction est de l’autrice. J’aurais préféré donner une traduction faite par une personne racisée, mais j’en ai pas trouvé au moment où je traduisais cette lettre en français. .